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Comment les arbres affectent-ils l'atmosphère et le climat de la Terre ?

2021-03-21

Le 21 mars est la Journée internationale des forêts, une occasion de célébrer et de nous sensibiliser à l'importance de tous les types de forêts. Les arbres sont indéniablement un élément essentiel de l'ensemble du système Terre. Ils soutiennent pratiquement tous les écosystèmes terrestres et la biodiversité, stabilisent et fertilisent le sol, captent de grandes quantités de dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre, et fournissent même aux humains des quantités généreuses d'aliments délicieux et nutritifs. Sans compter qu'ils ont un effet psychologique profond sur nous. Les arbres et la vie végétale ont des effets positifs sur notre bien-être et notre santé mentale. Mais que savez-vous d'eux ?

À l'Institut royal d'Aéronomie Spatiale de Belgique, nous nous intéressons particulièrement à l'influence des arbres sur l'atmosphère terrestre. Leurs contributions les plus importantes et les plus connues sont qu'ils absorbent le CO2 et fournissent de l'oxygène. Cependant, tous les types de végétation libèrent également des composés organiques volatils biogéniques (COVB), c'est-à-dire des gaz composés de molécules qui contiennent des atomes de carbone et d'hydrogène liés entre eux. Parmi les COVB, il en est un qu’il nous faut étudier de plus près : l'isoprène.

Qu'est-ce que l'isoprène et pourquoi est-il important ?

L'isoprène est le plus important COVB émis par la végétation terrestre, représentant jusqu'à 70% de tous les hydrocarbures dégagés. Le volume de ses émissions annuelles mondiales est similaire à celui du méthane. La molécule d'isoprène est synthétisée par le feuillage de la plupart des plantes. Elle joue un rôle protecteur contre les dommages thermiques et l'action oxydante de l'ozone et d'autres espèces réactives oxygénées, qui entravent la capacité photosynthétique de la plante.

isoprene
Des températures plus élevées et plus de rayonnement solaire
entraînent une libération plus importante d'isoprène. En présence de
niveaux élevés d'oxydes d'azote (NOx), l'isoprène peut entraîner la
formation de grandes quantités d'ozone (O3), qui est un polluant, un
gaz à effet de serre et peut causer des problèmes de santé.

En soi, l'isoprène n'est pas un polluant, mais il a une forte influence sur la qualité de l'air et la chimie de la troposphère et, par conséquent, il a un impact indirect sur le climat. Il est très réactif, avec une durée de vie chimique de l'ordre de quelques minutes à quelques heures, et entraîne de nombreuses réactions chimiques complexes dans l'atmosphère, qui ne sont pas toujours les bienvenues. En fait - et ce n'est peut-être pas surprenant -, c'est l'activité humaine qui pose problème, étant responsable de l’émission de grandes quantités d'oxydes d'azote (NOX) par le biais des processus industriels et des transports. En présence de niveaux élevés de NOX, une seule molécule d'isoprène peut entraîner la formation de nombreuses molécules d'ozone troposphérique, qui est à la fois un polluant et un gaz à effet de serre. Par contre, lorsqu'il y a très peu de NOX, les émissions d'isoprène des plantes peuvent, dans certains cas, réduire les concentrations d'ozone troposphérique.

En outre, l'isoprène affecte également la production des aérosols organiques secondaires, de minuscules particules qui présentent des risques environnementaux importants tels que la   dégradation de la visibilité ainsi que des problèmes pour la santé. Côté climat, l'isoprène a de multiples impacts : il réduit le pouvoir oxydant de l'atmosphère et augmente de ce fait la durée de vie du méthane, un gaz à effet de serre connu pour être 25 fois plus puissant que le CO2, et il contribue à la formation d'ozone et d'aérosols, deux agents majeurs du forçage radiatif du système terrestre.

En raison de leur rôle dans la qualité de l'air et la chimie de la troposphère, les émissions d'isoprène, leur oxydation dans l'atmosphère et la manière dont elles sont affectées par le réchauffement climatique et les changements d'utilisation des sols sont des questions de première importance traitées par les chercheurs de l’IASB.

Surveillance des émissions d'isoprène : un défi de taille

Il est clairement établi que les conditions météorologiques déterminent les émissions d'isoprène biogène, notamment la température et le rayonnement solaire. Simplement dit, un temps chaud et ensoleillé entraîne des émissions élevées. Mais cela dépend aussi du type et de l'abondance de la végétation. Afin d'effectuer des estimations précises des flux d'isoprène sur l'ensemble du globe, les scientifiques doivent connaître le plus précisément possible la quantité et le type de couverture végétale (par exemple, forêt, arbuste, herbe, culture) présents. Par exemple, les feuillus émettent en moyenne jusqu'à 10 000 fois plus que les cultures, mais les émissions des érables sont négligeables par rapport à celles des chênes, des peupliers et des eucalyptus. Bien que lanature précise des plantes joue un rôle important, une telle connaissance spécifique n'est malheureusement disponible que pour des zones limitées aux États-Unis, en Europe ou en Australie.

Compter chaque arbre un par un prendrait environ un million d'années, à condition de pouvoir en compter un par seconde 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 (basé sur l'estimation de 3 trillions d'arbres d'une étude de Crowther et al.).

Alors que les observations directes d'isoprène par satellite n'en sont qu'à leurs débuts, les inventaires reposent sur des modèles avancés tels que le modèle MEGAN. Ce modèle permet d’estimer les émissions biogéniques. Les inventaires actuels des émissions sont basés soit sur des cartes de végétation modélisées et dynamiques, soit sur des cartes satellitaires et statiques. À l'échelle mondiale, les émissions se situent entre 350 et 800 millions de tonnes par an. Toutefois, l'impact sur ces émissions des pratiques d'utilisation des sols telles que la déforestation, la reforestation, l'urbanisation, l'exploitation forestière, les incendies, etc. est encore très incertain. Selon le rapport de 2020 de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la couverture forestière mondiale a subi une perte nette de 250 000 km2 entre 2015 et 2020. Dans leur étude, Crowther et al. ont estimé qu'environ 15 milliards d'arbres sont abattus chaque année.

Deforestation
Expansion des forêts et déforestation dans le monde de 1990 à 2020 (en millions d'hectares/10 000 km2 par an). À raison de 50 000 km2 de perte nette par déforestation par an, la perte nette totale sur la période 2015-2020 serait de 250 000 km2. Source : Rapport de 2020 de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture.

L'équipe de scientifiques de l’IASB est la première à tenir compte d'un ensemble de données dynamiques sur la couverture des sols, basées sur des satellites, pour estimer les émissions d'isoprène et leur évolution à long terme. Pour distinguer les différents types de couverture végétale du sol et suivre les changements de la couverture mondiale, en particulier la population d'arbres, ils ont utilisé une carte à très haute résolution spatiale (30 x 30 m²) de la distribution de la couverture arborée, provenant de la base de données de Global Forest Watch (GFW), ainsi que la base de données MODIS pour les autres types de couverture des sols.

« Les données GFW se sont révélées être un atout important pour suivre les changements de la couverture arborée à petite échelle », dit Beata Opacka, qui a dirigé cette étude. « Ceci est particulièrement important en Afrique sub-saharienne, par exemple, où les coupes de petites parcelles de forêt pour la conversion en petites exploitations ou pour les besoins en bois comme combustible sont les principales causes de déforestation », ajoute-t-elle. En comparant l'ensemble de données GFW aux inventaires nationaux, l'étude a montré que les tendances croissantes de la superficie forestière signalées par certains inventaires nationaux (par exemple, les États-Unis et la Chine) sont contredites par les données satellitaires, qui indiquent un déclin dans ces pays. Cela est dû en grande partie au fait que certains pays assimilent les semis et les nouveaux arbres aux forêts, alors que les données satellitaires ne le font pas, puisqu'elles appliquent un seuil sur la hauteur des arbres (minimum 5 mètres).

Trends
Distribution de la tendance linéaire nette (changement de la fraction de couverture par an) de la couverture arborée pour 2001-2016 dans la base de données GFWMOD. Le changement de fraction par an est calculé en divisant les tendances de la couverture arborée dans chaque cellule de grille, exprimée en km² /an, par la surface de la grille correspondante.

Curieux : plus de 800 centaines de définitions de la forêt sont utilisées dans le monde ! Difficile de s'y retrouver.

Biomass ESA
Répartition de la biomasse forestière mondiale. Source : ESA (source de données : Projet CCI Biomass utilisant des données Copernicus Sentinel modifiées (2018) et la mosaïque mondiale PALSAR-2 de la JAXA (2018).

Quel est l'impact des changements de la couverture arborée sur les émissions d'isoprène ?

Dans leur étude, utilisant l'ensemble de données satellitaires du GFW, les scientifiques de l’IASB ont estimé les émissions mondiales d'isoprène à 350 millions de tonnes par an en moyenne pour 2001-2016. Ce chiffre se situe dans la partie inférieure de la fourchette des estimations précédentes. Ils ont utilisé leur modèle pour montrer que, sans l'effet des changements de la couverture arborée du sol, les émissions d'isoprène auraient augmenté à un taux de 10% par décennie, en raison du réchauffement climatique.

Les modèles sont des outils précieux qui permettent de mettre en place une expérience, afin de répondre à des questions qui sont restées jusqu’alors en suspens. Par exemple, quel est l'impact des changements de la couverture terrestre sur les tendances de l'isoprène ?

En prenant en compte les changements de la couverture arborée, le modèle montre une forte baisse de la tendance globale des émissions d'isoprène, passant d’environ 10% à 6% par décennie. Les changements de la couverture arborée ont donc un effet d'atténuation, principalement due à la diminution de la couverture arborée à l'échelle mondiale, notamment dans les tropiques.  Cependant, il existe des régions où les effets des changements de la couverture arborée sont plus importants que l'augmentation des émissions due au réchauffement climatique. Par exemple, la réduction d’émissions calculée pour la Sierra Leone et Madagascar est respectivement quatre et sept fois plus importante que les tendances croissantes dues à la météorologie. En revanche, au Brésil et en Indonésie, malgré les pertes considérables d'arbres tropicaux, on constate des tendances croissantes dans les émissions d'isoprène, sous l'effet de la hausse des températures et du rayonnement solaire.

Pour conclure

Le système terrestre et son climat sont dans une large mesure régulés par les interactions terre-atmosphère. Comprendre et quantifier leur ampleur, leurs tendances et leurs impacts sur le système terrestre représentent des défis scientifiques majeurs qui nécessitent l'utilisation d'observations globales, complétées par des mesures au sol et in situ de haute qualité, ainsi que des outils de modélisation avancés qui suivent l'évolution des connaissances scientifiques. L'intégration des données d'observation de la Terre dans les modèles a démontré son potentiel pour répondre aux questions clés, liées au bilan et à l'évolution des composants atmosphériques à l'échelle mondiale, régionale et locale. Les capacités de surveillance de l'atmosphère se développent rapidement afin d'aborder les incertitudes liées aux interactions terre-atmosphère.

En acquérant la compréhension la plus approfondie du système que nous influençons si fortement, nous pouvons orienter nos pas vers le rétablissement d’un l'équilibre. Nous pouvons commencer aujourd'hui, en célébrant la Journée internationale des forêts et en communiquant sur leur importance dans le système terrestre.

Remerciements

Cette recherche fait partie du projet ALBERI, financé par le programme belge d'observation de la Terre STEREO III.

En savoir plus

 

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Le 21 mars est la Journée internationale des forêts, une occasion de célébrer et de nous sensibiliser à l'importance de tous les types de forêts. Image credit PxHere.