Le méthane sur Mars : une simple illusion ?
COMMUNIQUE DE PRESSE: Une nouvelle étude remet en question les détections de méthane faites par le rover Curiosity de la NASA
À plusieurs reprises, le rover Curiosity de la NASA a détecté du méthane sur Mars à l'aide de son spectromètre à laser accordable (TLS), donnant lieu à des spéculations sur d'éventuelles sources biologiques. Mais quelle est la fiabilité de ces détections ? Notre récente étude soulève de sérieuses inquiétudes, suggérant qu'il pourrait s’agir d'artefacts instrumentaux.
Communiqué de presse pour la publication
« Questioning the Reliability of Methane Detections on Mars by the Curiosity Rover » dans le Journal of Geophysical Research: Planets
par Sébastien Viscardy1, David C. Catling2, et Kevin Zahnle3
1Institut royal d'Aéronomie Spatiale de Belgique (BIRA-IASB), Bruxelles, Belgique
2Département des sciences de la terre et de l'espace, Université de Washington, Seattle, WA 98195, États-Unis
3NASA Ames Research Center, MS 245-3, Moffett Field, CA 94035, États-Unis
Les détections de méthane par Curiosity laissent la communauté scientifique perplexe
Étant donné que, sur Terre, le méthane est principalement produit par l'activité biologique, sa présence rapportée dans l'atmosphère martienne au cours des deux dernières décennies a suscité un vif intérêt scientifique. Cependant, malgré l'enthousiasme suscité par ces détections et leurs implications potentielles pour la recherche de vie extraterrestre, le scepticisme demeure.
Le principal paradoxe réside dans le fait qu’aucun des deux spectromètres indépendants embarqués à bord de la sonde ExoMars Trace Gas Orbiter (TGO) de l'ESA n'a jamais détecté la moindre trace de méthane depuis le début de la mission en 2018.
Au contraire, Les instruments de TGO ont établi une limite supérieure stricte qui est plus de dix fois inférieure à la détection la plus faible rapportée précédemment. Les tentatives visant à réconcilier les résultats de TGO avec les observations antérieures impliquent que le méthane supposé varierait d'une manière qu’aucun processus chimique ou physique connu ne peut expliquer de manière convaincante.
Les détections enregistrées par le spectromètre à laser accordable (en anglais, Tunable Laser Spectrometer, TLS) à bord de l’astromobile Curiosity de la NASA ont suscité une attention particulière depuis son atterrissage dans le cratère Gale en 2012 (voir figure 1). En analysant des échantillons d'air martien prélevés directement sur le site, ces mesures in situ ont alimenté un nombre impressionnant d'études cherchant à découvrir la source et l'origine de ce méthane mais, jusqu'à présent, aucun groupe indépendant n'a examiné minutieusement l'ensemble des données sous-jacentes.
Et si le méthane venait de Curiosity lui-même ?
Afin de mettre en lumière les incohérences apparentes de l'histoire du méthane martien, notre étude — récemment publiée dans le Journal of Geophysical Research: Planets — analyse les données TLS accessibles au public et remet en question l'origine martienne du méthane détecté.
Nous avons découvert que la chambre des optiques (foreoptics chamber, FO) — où le laser émet, et qui est directement adjacente à la cellule contenant l'échantillon d'air martien (voir le bas de la figure 2) — est contaminée par du méthane à des niveaux au moins 1 000 fois plus élevés que dans la cellule d'échantillonnage.
Cette contamination, initialement causée par l'introduction accidentelle d'air terrestre avant le lancement de Curiosity, a persisté malgré plusieurs tentatives d'évacuation du gaz du système : après chaque opération, le méthane réapparaît systématiquement et s'accumule à nouveau.

Nous avons également observé des variations de pression anormales pendant les mesures (voir le haut de la figure 2), alors même que la chambre FO et la cellule d'échantillonnage sont censées être hermétiquement fermées, ce qui signifie qu'aucun air martien ne devrait pouvoir entrer ou sortir de l'un ou l'autre des compartiments. Ces variations suggèrent des échanges de gaz avec un réservoir non identifié — très probablement l'atmosphère martienne — et soulèvent des préoccupations quant à l'étanchéité des compartiments de l'instrument et à l'intégrité de l'échantillon d'air.
Bien que l’origine du méthane présent dans la chambre FO reste inconnue, sa proximité avec la cellule d'échantillonnage soulève la possibilité d'une diffusion à travers le joint torique séparant les deux compartiments (voir le bas de la figure 2).
Nous démontrons que même une très petite fraction — moins d'un millième de l'air riche en méthane contenu dans la chambre FO — diffusant dans la cellule d'échantillonnage pourrait suffire à expliquer entièrement les détections de méthane précédemment rapportées. En outre, les variations de pression résultant de ces échanges internes de gaz seraient masquées par les variations beaucoup plus importantes causées par les échanges avec le réservoir non identifié.
La méthode d'analyse du méthane utilisée par Curiosity suscite des doutes
Notre étude met également en évidence des problèmes potentiels dans la manière dont les données TLS ont été analysées au cours de cinq expériences publiées précédemment. La concentration de méthane a été déterminée en analysant les spectres TLS à trois longueurs d'onde infrarouges (voir figure 3a), qui forment un triplet de raies spectrales désignées par les lettres « e », « f » et « g ». Dans la pratique courante, l’analyse d’un spectre — réalisée en considérant collectivement les trois raies — permet d’estimer une unique valeur de la concentration de méthane.
Cependant, au lieu de suivre cette approche conventionnelle, chaque raie spectrale a été analysée séparément, ce qui a conduit à trois concentrations de méthane distinctes, dont la moyenne pondérée a ensuite été calculée pour obtenir la valeur rapportée (voir figure 3b).
Cette approche pose problème : nous constatons que dans la plupart des cas, une seule des trois lignes spectrales suggère la présence de méthane, alors que les deux autres ne montrent aucun signal significatif. Pourtant, la moyenne pondérée aboutit à une détection positive. En d'autres termes, la détection rapportée repose principalement sur l'une des trois raies spectrales, alors que les deux autres restent silencieuses.

En outre, dans les cinq expériences TLS dont les données ont été rendues publiques, les trois valeurs de concentration de méthane ne sont pas mutuellement cohérentes, compte tenu de leurs incertitudes respectives (voir figure 3b).
Nous estimons que la probabilité qu’une telle incohérence apparaisse dans tous les cas — par pur hasard — n'est que d’une sur mille. Notre réanalyse suggère fortement la présence d'erreurs systématiques, probablement masquées par la moyenne de trois mesures de méthane incohérentes.
Notre analyse suggère que le méthane détecté dans la cellule d'échantillonnage peut
- provenir de l’astromobile lui-même, probablement par diffusion de gaz depuis la chambre FO ;
- résulter d'une sous-estimation des incertitudes de mesure ; ou
- être lié à une combinaison de ces deux facteurs.
Un test proposé pour déterminer l'origine du méthane détecté
Notre étude a été rendue possible par la publication des principaux ensembles de données TLS par l'équipe instrumentale — une démarche d’ouverture qui mérite d'être saluée.
Si notre analyse soulève des inquiétudes quant à la fiabilité des détections de méthane par Curiosity, elle ouvre également la voie à une clarification de certaines des incertitudes qui persistent depuis des années. Nous proposons un test simple mais décisif pour l'avenir, qui pourrait aider à déterminer la véritable origine du méthane détecté.
Ce test consisterait en une séquence soigneusement conçue de deux expériences TLS réalisées au cours de nuits consécutives, l'échantillon d'air martien restant scellé dans la cellule entre les deux expériences. En permettant à l'échantillon de rester dans la cellule pendant une période prolongée et en comparant les concentrations de méthane mesurées lors des deux expériences, ce test pourrait permettre de déterminer si le méthane détecté par Curiosity provient réellement de Mars ou d'une contamination interne.
Si elle était réalisée, cette expérience simple pourrait apporter un éclairage décisif sur une question débattue depuis des années : le méthane martien est-il bien réel… ou n’est-il qu’une illusion ?
Contacts presse
Contact scientifique:
- Dr. Sébastien Viscardy (Sebastien.Viscardy_at_aeronomie.be)
Groupe de recherche « Atmosphères planétaires », Institut royal d'Aéronomie Spatiale de Belgique
Cellule communication:
- Stéphanie Fratta (Stéphanie.Fratta_at_aeronomie.be)
Communication et documentation, Institut royal d'Aéronomie Spatiale de Belgique